Conversation avec... Anne Tournier-Lasserve, vice-présidente en charge du haut-niveau
Avec Pascal Martinod-Lagarde, du club de l'ES Montgeron
Anne Tournier-Lasserve s'occupe depuis toujours de sport de haut niveau. D'abord dans des territoires, puis à l'échelon national avec la Fédération française d'athlétisme, avant de mettre ses compétences au service de l'équipe de Brigitte Henriques en tant que vice-présidente du CNOSF en charge de ce secteur. Entretien avec une dirigeante passionnée qui décrit sa vision pour l'avenir.
Anne Tournier-Lasserve, comment êtes-vous arrivée au sport ?
J'ai commencé très tôt. Je voulais, un peu comme Brigitte Henriques, faire du football, car j'avais aussi des frères plus âgés, et à six ans, je voulais jouer au foot ! Mais je suis plus âgée que Brigitte et à cette époque, il n'y avait pas de foot féminin. Je me suis alors mise au handball, que j'ai pratiqué plusieurs années. J'étais assez jeune en Nationale. Plus tard, j'ai aussi voulu être professeur de sport, alors j'ai voulu faire un peu d'athlétisme pour voir ce que je valais pour le concours. Je suis entrée au club d'athlétisme de Montgeron. Les résultats sont rapidement venus et j'ai été jusqu'au niveau national. Très vite, à 17 ans, je commençais déjà à entraîner des écoles d'athlétisme, ce que j'ai fait durant 18 ans. Avec mon travail, je n'ai pas pu continuer, je sortais trop tard... plus on monte en grade, plus c'est compliqué.
Et au niveau de votre carrière professionnelle ?
Sur un plan professionnel, j'ai commencé dans le sport. Ce n'est pas dans ce domaine que je voulais forcément travailler au départ, puisque j'avais fait des études qui n'y étaient absolument pas liées, mais à la fin de ces études, je me suis dit que le sport était définitivement ma passion. J'ai alors passé mes brevets d'Etat d'éducatrice sportive, et j'ai commencé à travailler comme salariée au Comité régional olympique d'Île de France, puis durant cinq ans à la fédération d'athlétisme, déjà sur le haut niveau ! Ensuite, j'ai été directrice Jeunesse et Sports de la commune de Draveil puis directrice départementale des Sports dans l'Essonne. Je suis ensuite passée directrice générale des services à Ris-Orangis avant d'aller sur l'animation des territoires et la solidarité à Evry. Je suis maintenant chargée de mission auprès du directeur général de l'agglomération Grand Paris Sud.
Je suis très "terrain" et très sport de haut niveau !
Et enfin, comme dirigeante sportive ?
En tant que dirigeante, ça c'est fait par hasard au niveau de mon club de Montgeron. Il manquait quelqu'un pour le poste de trésorier, le président de l'époque m'a demandé de l'aider. J'avais 22 ans. Il est parti, personne ne voulait prendre sa place… J'ai donc pris la présidence. A l'époque je pensais que ce n'était que pour quelques années, et aujourd'hui cela fait juste 34 ans. J'ai ensuite intégré le comité directeur de la ligue d'Île de France d'athlétisme. En 2004, j'ai voulu aller voir ce qui se passait du côté de la fédération. Je me suis présentée et j'ai été élue. Depuis 2004, je suis donc à la FFA, d'abord au Comité directeur, après au Bureau fédéral, et maintenant vice-présidente chargée du haut niveau. Je suis très "terrain" et très sport de haut niveau !
Élue au Conseil d'administration du CNOSF, vous en êtes vice-présidente en charge du haut niveau. Comment abordez-vous ce rôle ?
Il va falloir que, dans le cadre du CNOSF, nous aidions la France du sport à être plus performante, afin de gagner encore plus de titres. On verra ce que cela donnera au final à Tokyo avec ces conditions particulières. Il s'agit d'aider encore plus les athlètes à obtenir des médailles. Il va falloir les accompagner pour aboutir à l'optimisation de la performance, ce qui n'est pas simple. Ce n'est plus du haut niveau, c'est de la très haute performance. Pour cela, il faut travailler à l'évolution du suivi des athlètes, avec un programme complet, les aider dans le cadre du dispositif d'entraînement, de leur entourage, des entraîneurs, car s'ils ne sont pas disponibles, ça ne peut pas aller. Le tout doit également s'accompagner d'un suivi médical spécifique et performant lui aussi.
Vous souhaitez aussi agir sur le double projet, la vie en dehors du terrain de sport...
Il faut en effet également appuyer les athlètes autour de leur suivi socioprofessionnel, que ce soit dans la formation ou dans l'aide à l'emploi, en lien avec les universités, les grandes écoles, les entreprises. Un projet de vie qui passe par deux ambitions, la vie personnelle, professionnelle pour le futur, et la vie de sportif de haut niveau. Nous devons aussi les aider en travaillant pour améliorer l'innovation, la recherche et pour cela notamment avoir des liens avec les comités olympiques étrangers, parce que nous devons aussi aller chercher l'expérience ailleurs, partager l'expertise entre les différentes nations.
Avoir une vraie reconversion dans la société, ça se prépare...
Il est également souhaitable d'avoir des réflexions sur des situations spécifiques. On parle beaucoup de la question de la maternité. Avant, on pensait qu'être maman, cela stoppait une carrière sportive et que l'on ne pouvait pas reprendre. Aujourd'hui, ça n'est plus le cas. Il y a des situations très spécifiques suivant les sports. Il ne faut pas oublier la reconversion des sportifs de haut niveau. Souvent, on les aide beaucoup au moment où ils sont forts. Ils montent en puissance, mais ensuite, la difficulté est de retrouver une vie normale. La carrière de sportif de haut niveau est particulière, il y a des concessions à faire, il y a des dispositions à mettre en place et retrouver une vie "comme tout le monde", ça n'est pas si simple, et avoir une vraie reconversion dans la société, ça se prépare.
Tout ça, nous ne pourrons pas le faire seuls. C'est un travail en commun avec le ministère, l'ANS, les fédérations, la commission des athlètes de haut niveau du CNOSF, le grand INSEP, la commission du sport professionnel du CNO, et en premier lieu les sportifs, leurs coachs et tout leur entourage. Il faudra être en lien avec les fédérations par rapport à leur projet de performance. Comment ils voient les choses suivant les sports, car cela peu être différent selon qu'il s'agisse d'un sport individuel ou collectif. Il va aussi falloir penser à l'avenir. Les Jeux, cela se prépare. Il faut beaucoup d'années à un athlète pour arriver à maturité. En moyenne, on estime qu'une fois qu'il est arrivé à un niveau national, il faut entre 6 et 10 ans minimum pour arriver à la très haute performance.
Évidemment, nous allons réfléchir à l'avenir et à la réussite de 2024 ; parce que c'est Paris, et nous devons réussir Paris... mais aussi les autres Jeux, comme ceux d'hiver à Pékin 2022. On a toujours tendance à dire 2024, 2028, 2032, non, c'est 2022, 2024, 2026, 2028, les JO ont lieu tous les deux ans. On doit réussir à chaque édition olympique, aider la relève d'aujourd'hui à progresser et à être forte pour ces années qui viennent, tout en suivant bien l'évolution de la société, on le voit bien dans cette période compliquée. Il faut que tout cela soit en lien pour pouvoir amener nos sportifs à avoir de bons résultats, et surtout se faire plaisir. S'ils se font plaisir, ils auront de bons résultats.
Faut-il aussi identifier les "trous générationnels" pour certains sports masculins ou féminins où la relève vient à manquer ?
Bien sûr. Dans tous les sports, il y a des périodes où des sports, ou des spécialités, voient leurs résultats en chute. Soit certains autres pays ont évolué plus vite que nous, soit à une période ou à une autre, nous avons manqué d'entraîneurs, soit il y a une génération qui est passée à côté... Il faut alors que nous travaillions avec les fédérations pour savoir ce qu'il s'est passé et comment on peut les aider à retrouver un niveau international. Il faut que toutes les parties se mettent ensemble pour mener une réflexion forte afin de retrouver une évolution et une progression. Il faut faire attention à la relève. Ça n'est pas "On a fini Tokyo en 2021, et maintenant c'est Paris 2024". Non, 2024, c'est déjà à peu près fait, toutes les fédérations connaissent déjà la Génération 2024. Il faut déjà travailler sur la suite, hiver et été, de manière à ce que la relève soit là et qu'on n'ait pas de trou de génération.
La réussite passe-t-elle aussi par le développement d'infrastructures performantes ?
Elles existent déjà, il faut les améliorer. Il faut être en lien avec les territoires. C'est justement le rôle du CNO avec les CROS et le CDOS avec les collectivités territoriales qui sont souvent les propriétaires des grandes structures, parfois de très haut niveau. Et puis, il y a tout ce qui constitue le Grand INSEP, les CREPS etc., car c'est là où se trouve la grande performance. C'est en lien avec l'ANS et les Fédérations, car c'est aussi leur rôle. Il faut absolument établir des liens forts entre nous, pour améliorer encore ce qui se fait.
Qu'en est-il de l'encadrement ?
Nous sommes en plein dedans, notamment concernant les cadres techniques sportifs, les CTS. Nous nous battons pour que cette profession continue, pour que les CTS existent toujours pour apporter leur expertise et leurs compétences. Il faut aussi que les fédérations continuent à former de nouveaux entraîneurs. Il est nécessaire d'avoir un vrai statut de l'entraîneur national et international. Former un entraîneur ou un coach, cela met du temps, plusieurs années. Certains s'arrêtent à un niveau régional, d'autres passent au niveau national ou international. Autant il faut avoir une statut du sportif de haut niveau, autant il faut aussi, pour assurer la relève, un statut de l'entraîneur, de tout l'encadrement. Il faut aussi travailler par rapport au médical et au mental. Je ne parlerais pas de suivi, mais d'accompagnement parce qu'il y a une pression forte. Ce n'est pas "J'arrive aux Jeux et je fais ma compétition". C'est bien plus que cela. Il y a déjà beaucoup de choses qui sont faites, mais il faut continuer à les améliorer pour tous nos sportifs.
Au CNOSF, je représente tous les sports...
Il y a une montée en puissance nécessaire pour les Jeux de Paris 2024, mais la question de l'héritage se pose également…
L'héritage de Paris 2024 pour le haut niveau, c'est surtout si on gagne beaucoup de médailles. Grâce à ça, on aura peut-être des gens plus motivés pour faire du sport, pour se rendre compte que le sport est très important, d'une part pour gagner des médailles, et d'autre part pour sa santé. Bref, amener plus de monde et plus de jeunes à faire du sport, pour justement avoir une relève forte. Plus vous avez la masse, plus vous avez de la chance d'y trouver des champions. Tout le monde ne sera pas champion olympique, mais plus il y aura de gens qui font du sport, plus le vivier sera important, plus on aura la chance d'avoir un héritage fort. Je n'invente rien en disant que, si vous avec 10 personnes, vous avez moins de chance de trouver un champion qu'avec 100 personnes. On a vu comment les Français ont accueilli le titre de champion du monde de football en 1998 et le deuxième vingt ans plus tard. C'est pareil avec les champions olympiques ou paralympiques, les gens ont envie de faire pareil. Là, on va pousser les jeunes à entrer dans le système et à s'entraîner un peu plus !
Avec le député Juanico et les dirigeants de la FFA à l'Assemblée nationale - crédit @Juanico
Vous conservez votre rôle de vice-présidente chargée du haut niveau à la FFA, comment s'articule-t-il avec celui que vous occupez maintenant au CNOSF ?
L'équipe de Brigitte Henriques est tout juste en place au CNO, j'i donc peu de recul mais je vais essayer à travers l'expérience que j'ai acquise à la fédération d'athlétisme, un peu en tant que sportive de haut niveau et avec mon passé d'entraîneur, d'apporter mes compétences et ma passion. J'ai toujours aimé le haut niveau. Ce n'est pas contradictoire et ça n'est pas en opposition. Je l'ai dit lors du dernier bureau fédéral : je suis vice-présidente pour le haut niveau à la FFA, mais au CNOSF, je représente tous les sports. Je ne suis pas là pour défendre l'athlétisme. L'expérience acquise m'aidera à répondre au mieux à la mission que Brigitte Henriques me confie.
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